Vie locale
Au regard de son millier d’habitants, le bourg centre de Morosaglia profite d’une économie et de services dignes d’une petite ville. Son atout : une vocation de carrefour départemental. Unique en Corse
Au nord, le rural. Au sud, le rural. Comme à l'est et à l'ouest d'ailleurs. Un territoire partagé entre le maquis, les lisières de forêts et les vastes zones arides sur lesquelles l'élevage de montagne s'efforce de subsister. L'endroit lui-même ne paie pas de mine. Ceux qui ne font que le traverser vont même jusqu'à le qualifier de « lucacciu ». Il y fait très froid l'hiver, très chaud l'été. Et pourtant…
Pourtant, les enseignes commerciales et autres plaques professionnelles interpellent au bord de la RN 193. Une pharmacie par ci, un cabinet médical par là, un dentiste ou encore un expert, jusqu'aux cliniques vétérinaires, entre autres. Bienvenue à Ponte-Leccia, une terre où la géographie a depuis longtemps imposé sa loi. Celle qui fait que l'on s'y arrête un jour, jusqu'à s'y installer, au point de voir ce qui reste un hameau de Morosaglia, village éloigné d'une quinzaine de kilomètres, se développer à la vitesse grand V.
« Vous connaissez l'expression,glisse Vincent Cognetti, maire depuis 2001. Quand'ellu si tocca a petra di u ponte… »La légende locale a la vie dure. Elle raconte en effet que celui qui touche la pierre du pont qui enjambe le Golo s'arrête à Ponte-Leccia pour ne plus en repartir. Les vraies raisons sont bien plus sérieuses et correspondent à une réalité qui obéit aux règles de l'aménagement du territoire.
Depuis l'usine de tanin…
La vocation de carrefour routier et ferroviaire du département de la Haute-Corse est l'unique atout de Ponte-Leccia, mais un atout de taille. Son rond-point est un peu l'emblème d'une plaque tournante qui ouvre son rayonnement sur la Balagne, le Cortenais, la région bastiaise ou encore la Castagniccia. Voilà comment Ponte-Leccia a rapidement grimpé à l'échelle démographique, jusqu'à 1 108 habitants aujourd'hui, 150 de plus au dernier recensement. Une population dont l'importance remonte à de lointains événements, à l'époque où l'atout géographique épousait déjà l'essor économique.
« L'usine de tanin qui a fermé ses portes en 1960 a contribué à fixer cette population,raconte le maire, tout comme la scierie qui a également disparu. Le chemin de fer y est également pour beaucoup. Les emplois directs et induits ont concerné presque 500 personnes. »Parmi eux, beaucoup d'étrangers. Ils sont restés. Bon nombre de leurs descendants font vivre aujourd'hui encore le bourg.
Avec d'autres, les vieilles familles de la commune, puis les plus nombreux, ceux que la géographie arrange. « Il y a des enseignants de Corte et de L'Ile-Rousse qui vivent ici, des gens venus des villages voisins,explique Jean-Baptiste Taffanelli, premier adjoint au maire et président de la communauté des communes de la vallée du Golo.Mais l'installation à Ponte-Leccia va plus loin que les seules raisons pratiques liées à la géographie et à l'activité professionnelle. Par exemple, des gendarmes partent à la retraite et construisent leur maison ici. »
Toutes les commodités que l'on ne retrouve généralement que dans les villes moyennes distinguent également Ponte-Leccia où sont également installés deux médecins généralistes, un cabinet dentaire, un laboratoire d'analyses, de très nombreux infirmiers et infirmières, des services sociaux. Mais le plus bel exemple du service public qui mise sur les atouts du territoire demeure, à l'évidence, le point d'accès au droit.
Créé pour sauver la justice de proximité au moment où le vent de la réforme judiciaire emporta les tribunaux d'instances de Corte et de l'Ile-Rousse, c'est à Ponte-Leccia qu'a pu voir le jour la meilleure mesure de compensation. Le Pad, bien qu'il ne récupère pas toutes les compétences de l'ancien tribunal d'instance, est positionné à mi-chemin entre les deux cités paolines. Pour offrir, malgré tout, un point de chute au justiciable tout en considérant l'économie du service public. « Il y a plus de Pacs ici qu'à Bastia »,confie le maire. « En période électorale, je ne vous raconte pas le monde que les audiences attirent »,ajoute son premier adjoint.
Consciente de l'aubaine que constitue cet attrait, la municipalité s'efforce de le renforcer, même si elle commence à cerner quelques limites. « Nous avons baissé la pression fiscale à trois reprises,rappelle Vincent Cognetti, tout en essayant de libérer un maximum de foncier pour la construction et l'installation. Seulement, même si nous faisons un lotissement, nous sommes aujourd'hui confrontés au gel des terrains à cause de la zone inondable et d'un périmètre de sécurité autour du dépôt de munition. Si ces obstacles n'existaient pas, nous aurions doublé notre population. »Jean-Baptiste Taffanelli renchérit : « Des demandes, nous en avons tous les jours. »
« On ne vide pas les villages, c'est tout le contraire »
Des demandes qui contribueraient à vider les communes environnantes. Vincent Cognetti s'inscrit en faux. Il considère le procès infondé et injuste. « C'est tout le contraire. Parce que Ponte-Leccia, avec toutes ses commodités et ses services, n'est qu'à quelques kilomètres, les gens peuvent continuer à vivre dans leur village. Quand ils ont besoin d'un médecin, il n'est pas loin, d'une infirmière, elle arrive très vite. »La réputation de l'effet « pompe aspirante » du bourg continue, malgré tout, à être entretenue.
Les plus remontés seraient, ni plus ni moins, que certains habitants de… Morosaglia, le village de la commune où la population est forcément moins importante. Simple querelle de clocher ou désaccord plus politique quant à la vision de l'aménagement du territoire ?
Feu Camille Simompieri, l'ancien maire, avait un jour, dans un contexte pour le moins conflictuel, brandi la menace du blocage, à la face d'une autorité extra-communale. « Nous pouvons vous montrer à quel point Ponte-Leccia est un carrefour routier et ferroviaire. »Même sans rapport de force, le rayonnement de ce carrefour a vocation à s'amplifier.